Zone 4

Zone 4 est un chantier en cours. Il a été amorcé suite à la publication du texte court intitulé Suicide avenue (l’agonie d’Achille) aux éditions derrière la salle de bains, ce texte devant, encore à ce stade du projet, clore le récit.
Zone 4 met en scène le jeune Achille (dix-sept ans) dans un monde uchronique de l’après-catastrophe. De cette catastrophe, on ne saura pas grand chose, si ce n’est qu’elle a compressé la réalité d’Achille dans les limites étroites d’un territoire dominé par une multinationale de l’agro-alimentaire, PepsiCo.
J’aurais pu choisir Nestlé, Unilever ou Kraft Foods (c’est peut-être, d’ailleurs, le choix d’utiliser un vrai nom de firme qui a valu à ce blog d’être verrouillé quelques heures par les robots anti-spam de mon hébergeur, micro-événement qui démontre, d’une manière ironiquement opportune dans le contexte de cette fiction, que ces multinationales exercent, en dehors de tout contrôle démocratique, une emprise aveugle sur chacun de nos faits et gestes).
J’utilise également, dans ce texte, les slogans publicitaires inventés par les marques de ce groupe pour vendre leurs produits. Ce sont de vrais slogans. Ces slogans me semblent être l’aboutissement pornographique de l’usage que font ces firmes de la langue.
Je m’en explique. Chez le linguiste Roman Jakobson, le langage possède une fonction poétique. Cette fonction est ce qui nous permet de faire, d’un message, une œuvre d’art. Elle est ce qui nous permet de choisir les mots non seulement en raison de ce qu’ils signifient mais aussi en raison de leurs qualités esthétiques.
L’enjeu de cette fonction poétique étant de produire un effet (au sens émotionnel du terme) sur le récepteur du message. Cet effet devant, normalement, enrichir dans des proportions qui peuvent être proches de l’infini, le message pris au sens strict.
La fonction poétique a donc cette immense faculté d’ouvrir l’énoncé et de le sortir de ses propres limites.
Le slogan publicitaire utilise cette fonction, mai seulement en apparence. En réalité, il en invertit radicalement les capacités. Au lieu d’ouvrir l’énoncé, le slogan resserre la fonction poétique du langage en une pointe aiguë. Un dard forgé dans le but exclusif d’atteindre son cœur de cible. Et d’y pénétrer, non pas au plus profond, mais le plus méchamment possible.
Le slogan publicitaire ne recherche pas l’effet, mais l’efficacité. Ce qui est diamétralement opposé. Je parle donc de pornographie au sens étymologique du terme, celui de sa racine grecque pernênai « vendre (des marchandises, des esclaves) ». 
La société marchande compresse ainsi la langue dans les limites étroites d’une efficacité recherchée, ciblée, et cela, dans le but exclusif, non pas de vendre (ce qui n’est pas blâmable lorsque nous achetons ce dont nous avons réellement besoin), mais dans le but exclusif de nous vendre des objets qui ne répondent pas à nos désirs (je parle de vrais désirs, et non de pulsions). Car la pornographie c’est justement ça, et rien à voir avec le sexe : vendre pour le seul bénéfice du vendeur (les épidémies mondiales de diabète et d’obésité, par exemple, montrent parfaitement en quoi l’industrie agro-alimentaire, dans son aspect mondialisé, j’entends, n’offre aucun bénéfice désirable au consommateur).
La loi de l’offre et de la demande est une fiction de pornocrates.
La fonction poétique, lorsqu’elle n’est pas invertie par le marketing, crée un effet parce que le récepteur est justement réceptif, parce que préexiste à l’intérieur de lui un réceptacle, même embryonnaire, prêt à le recevoir.
Le slogan publicitaire, lorsqu’il utilise cette fonction, ne cherche évidemment pas à créer un effet, puisqu’il est conçu par des gens qui savent que ne préexiste, chez l’humain, aucun réceptacle prêt à le recevoir. Personne ne possède ni en son âme ni en son estomac de réceptacle prêt à recevoir les chips Lay’s, car si les chips Lay’s n’existaient pas, nous n’aurions pas besoin de les inventer (c’est un peu la preuve ontologique de la non-existence des chips Lay’s).
Or, les slogans publicitaires Lay’s fabriquent de toutes pièces ce réceptacle, c’est là l’enjeu de leur efficacité. Et à force de multiplier ces réceptacles dépourvus de sens dans nos corps et nos esprits, les slogans (le marketing de manière plus générale) nous transforment en monstres… 
Monstres, car nous nous soumettons à des pulsions qui ne sont pas les nôtres, pire, nous nous soumettons à des pulsions qui, si nous prenions la peine de les examiner un peu sérieusement, nous feraient, non pas honte (car la honte fait partie des délices du désir, bien sûr), mais nous renverraient une image innommable de nous-mêmes. Ils nous montreraient en monstres de pacotille, à l’image de ceux qui sont relégués dans la zone 4 : ronds, lisses, jaunes, des pac-mans réduits à avaler tout ce qui se présente.
Par contre, il y a une autre forme de monstruosité, plus intéressante, véritablement fascinante : celle que nous portons en nous-mêmes, celle qui est constitutive de notre humanité. Cette monstruosité est ce qu’essaie d’explorer Zone 4 à travers la colère (à venir) du jeune Achille.
Zone 4 parle du monstre véritable, ce visage inenvisageable de l’autre, qui est en nous.

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