31 janv. 2013

Hypermarché (21)

10
Jesse sent la sueur d’Emmy. Jesse sent les larmes d’Emmy se mêler à la sueur d’Emmy et former des arômes salins et âcres comme des huîtres de mangrove. Jesse voit Emmy (oh comment est-ce possible ?) avaler l’air à pleins poumons.
HHHHHHH.
Jesse voit Emmy se caler le dos contre la paroi du poste de videosurveillance. Le silence. Emmy prend une grande respiration. Emmy enfonce ses pouces entre la chair du visage et la prothèse MIKI.
Le silence est crevé de bruits métalliques étouffés. Puis Jesse entend les voix de la section K. En bas. Sous le miroir sans tain brisé. Parmi les bris de miroir sans tain épars. Parmi les chairs déchiquetées du chef sans tête. Jesse entend Ron P. hurler : « Ils sont là-haut ! » puis un coup de feu défonce la serrure de la porte blindée. Un autre coup de feu. Un autre coup de feu. « Merde ! Putain ! Merde ! » gueule Ron P.
Emmy inspire à nouveau.
La prothèse MIKI d’Emmy émet un petit couinement sec presqu’inaudible. Huit minuscules pattes noires métalliques sortent des bords et se plantent dans le cuir chevelu et le cou d’Emmy.
Emmy dit : « Serre-toi contre moi, Jesse. Enveloppe-moi. Je suis la sainte Mère de Dieu, la Vierge immortelle de la Guadalupe. »
Bob C. dit « tire-toi Ron ! J’ai du C-4 ! ». La prothèse MIKI fait un affreux couinement de souris-araignée. Les pattes noirs s’enfoncent dans la peau d’Emmy.
Le sang coule comme des larmes sur les tempes duveteuses d’Emmy.
Jesse a peur.
Emmy dit : « Il est temps de combattre, Jesse. ».

30 janv. 2013

Hypermarché (20)

Elvis pose un genou à terre. Elvis Presley pose son avant-bras galonné sur son autre genou. Elvis fixe l’amas des parkas mortes. « Ces gens sont morts,
murmure-t-il,
ces gens sont morts sans raison apparente. Voici le commencement.
Impitoyable.
Mes chiens barbares, le travail glorifie les êtres impitoyables. [Ron et Bob écoutent le prophète de Memphis. Les chiens de Kevlar sont au garde à vous.] Ne nous méprenons pas sur nos actes : ils sont abominables, sans justification, atroces. Impardonnables. Ne vous méprenez pas, violents combattants, mes frères d’arme, votre œuvre est brutale, sans limite. Seules les déesses païennes vous regardent avec amour. Elles vous ouvrent leurs cœurs et leurs cuisses inassouvies. Les actionnaires nous haïssent, nous rejettent sans rédemption possible. Car ils nous craignent. Car
leur
sang
se
fige
à l’évocation de nos noms. Leurs estomacs se retournent et vomissent des flots de peur.
Car tous sont d’immondes salauds sans morale.
Car tous
sont les poutres de l’édifice répugnant qui arme nos bras. Nous ne sommes que la traduction exacte et littérale,
stricte et vraie,
de leurs actes feutrés. Nous sommes la paraphrase du retraité de Floride qui attend son chèque de l’Ave Maria Mutual Funds ;
nous sommes le transcodage du bon père de famille qui cotise chaque mois une assurance vie de la Berkshire Hathaway ;
nous sommes la copie carbone du cadre dirigeant qui croque les actions de la Capital Group Companies ;
nous sommes les clones fidèles du boursicotteur qui bande pour la Fidelity Investments ;
nous sommes la transposition de la fille du quatrième, si gentille, si mignonne, qui kiffe pour les obligations de la Franklin Templeton ;
nous sommes le reflet cruel des actionnaires de la Lone Star Funds ;
nous sommes le mot pour mot de l’agent immobilier qui découpe pour la Westbrook Real Estate Partners. Oooh oui, mes chiens de guerre, il faut que notre œuvre soit plus cruelle encore. Car nous sommes ce par quoi ils prospèrent. »
Elvis Presley se redresse. Elvis mate l’Hypermarché Captain MIKI dans un lent panoramique. Elvis dit : « Je sens Jesse ici. ». Bob C. sourit. Les crocs de Ron P. se soulèvent. Elvis dit : « Takin’ Care of Business. »

29 janv. 2013

Hypermarché (19)

« Vous, tas de fiotes, ne me dites pas que vous écoutez les Beatles ! »
« Putain, mec, c-co-quoi ? »
« Hey ! D’où tu sors, gamin ? »
Bob C. change de chargeur. Bob C. arme le Glock. Dix-sept munitions.
« Oh putain, je le remets le mec ! C’est Elvis Presley ! »
Ron P. montre les dents. Les deux crocs noirs de ses moustaches font peeeeeur.
« Quel est ton nom, gamin ? »
« Nicolas. »
« Veux-tu devenir membre de la police de Denver, Colorado ? »
Bob C. le regarde, intensément.
« D-Denver ? »
« Denver. Dans le Colorado. YOU EYSS HÈ »
« T’es un gros malade, mon pote. »
Bod C. tire.
Nicolas est mort.
« J’adoooore ce flingue. »
« Ils sont forts ces Autrichiens. »

26 janv. 2013

Hypermarché (18)

Kraquement sec.
La prothèse MIKI de la chef hôtesse de caisse dit (‘,¬ç) et coule une goutte de sang le long du carter blanc de la prothèse MIKI.
La chef hôtesse de caisse tombe.
Morte.
L’amas des corps de l’aimable clientèle se tait. Se fige. Se redresse.
La section K du groupe de sécurité est en place.
K comme Kevlar.
K comme Kalachnikov.
K comme Karaté.
Certains sont vêtus de kombinaisons noires. Tout le korps kouvert de Kevlar. Des burkas de Kevlar. Bruit de la kulasse de l’AK qu’on arme.
Krépitements karactéristiques de l’AK-47. Odeur de kordite. Nuage de parkas déchiquetées. Plumes et duvets de canard 100% naturel. Krépitements karactéristiques. Sang.
K comme King.
Elvis lève le poing ganté de cuir « Section K, dit-il, halte au feu ! ». Le King. Jambes écartées, pieds plantés dans d’impeccables souliers vernis noirs — talon gauche légèrement décollé du sol, genou fléchi. Uniforme réglementaire de la police de Denver (DPD) — torsion du bassin. Grade de capitaine, blazer quatre boutons dorés aux armes du DPD — sourire ravageur. Deux autres gars sans kombinaison armés de Glock 17 — pistolet semi-automatique, 9 mm Parabellum. Les gars aux Glock de la section K sont mastocs. Moustachus. De vrais mâles. De vrais durs du Colorado. Bob C. fine moustache, yeux marrons, cheveux gominés, favoris, épaules d’athlète. Ron P. moustaches en forme de crocs, yeux noirs, cheveux noirs, carrure de déménageur. Costards, chemises pelle à tarte.

25 janv. 2013

Hypermarché (17)

SILENCE------------------------------PUIS.
Le bruit métallique du rideau de fer secoué par les clients paniqués. Des masses rouges, bleues, noires, grises, jaunes enchevêtrées en tas de fringues mouvantes, ondoyantes, moutonnantes, glissantes devant les rideaux de fer. OUVREZ-NOUS ! AU SECOURS ! Une chef hôtesse de caisse, grande, robuste, les jambes solides et galbées dans un collant taupe, une blouse rose près du corps, des cheveux vigoureux et vif comme l’herbe fraîche d’été, les coudes rapés, sublimes, avance vers l’amas des corps. Sa prothèse MIKI pulse des teintes d’un vert apaisant. Elle dit : « Doucement, ô doucement, nos forces de sécurité vont rétablir l’ordre. Écartez-vous des rideaux métalliques afin que nous procédions à leur levée. Tout va bien se passer. » Mais ils ne l’entendent pas. Mais ils ne l’écoutent pas. Mais ils continuent de choquer le rideau de fer. Mais ils continuent d’implorer le dieu du chaos dans une prière lamentable.

24 janv. 2013

Hypermarché (16)

CECI N’EST PAS UN EXERCICE.
Les agents de sécurité au pas de course, plus-vite, plus-vite. Gilets pare-balles en Kevlar. Lunettes anti-chocs. Plus-vite.
L’alarme stridente.
La langue de Jesse balafre l’agent à la ceinture Dolce & Gabbana. L’alarme stridente. L’agent D&G voulait entrer dans le poste de vidéosurveillance. Jesse lui a entaillé le visage sur dix centimètres. L’alarme stridente. L’agent D&G hurle. L’agent D&G se tient le visage et du sang poisse entre ses doigts et des larmes aussi.
Un crépitement électrostatique. L’alarme stridente.
Emmy reprend connaissance. La prothèse MIKI dit ////////////.
Puis : ROCK’N’ROLL.
« Oh, mon Dieu ! ». Emmy regarde Jesse et la prothèse MIKI dit <?>.
L’alarme stridente.
« Que s’est-il passé ? »
Jesse aimerait saisir Emmy par la taille et l’emmener loin de tout. L’alarme stridente. Mais la langue bifide de Jesse est sale des matières fécales du chef sans tête.
L’alarme stridente. L’agent D&G gueeeeule.
Jesse glisse sa langue bifide dans (l’alarme stridente) les orbites vides de la tête du chef — comme une boule de bowling. Jesse fait tournoyer la tête en l’air. Des gouttelettes de sang pleuvent sur les posters d’Estoril et d’Antigua. Des gouttelettes fines sur la cafetière. Sur la moquette écrue. Sur la prothèse MIKI d’Emmy. Sur la blouse rose acrylique d’Emmy.
La tête du chef fracasse l’agent D&G.
La prothèse MIKI d’Emmy dit (°¬0)
« Oh, mon Di(l’alarme stridente)as tué t(l’alarme stridente) le m(l’alarme stridente)on Dieu, Jesse ! Ils ont déclenché le PLAN SO(l’alarme stridente)vont tou(l’alarme stridente)tuer ! ».
(l’alarme stridente)crase la tête du chef sur le pupitre de con(l’alarme stridente)La tête (l’alarme stridente)joystick de camér(l’alarme stridente). J(l’alarme stridente)ore plus fort s(l’alarme stridente)ain de pup(l’alarme stridente)

23 janv. 2013

Hypermarché (15)

Jesse saisit le corps sans tête du chef. Jesse jette le chef sans tête à travers le miroir sans tain. Le chef sans tête pulvérise la glace — reflet malin du spot bleuté. Plein de morceaux coupants et vicieux foncent en piqué sur les caisses automatiques. BIP. BIP. Le gros corps étêté se splashe sur une caisse automatique. BIP. Le lampion numéro 16 clignote : erreur de poids. ERREUR DE POIDS. Silence de cinq secondes et deux dixièmes.
Hurlements.
La grosse femme huuuurle. IIIIIIIIIIIIIIIIIH.
La grosse femme ne bouge pas. Pétrifiée. Chosifiée. 3D-ifiée. Le bras disloqué du chef de la sécurité sans tête posé gentiment sur l’épaule dodue et tatouée — le triskell de Lug, Dagda et Ogme.
Les clients sautent par dessus les caisses automatiques. Des paniers de légumes volent. Des paniers de biscuits bio et de Danettes et de saumon fumé volent. Des Caddies de bidoche, de lait demi-écrémé, de piles AA, de litière pour chat volent. Un client enfonce son genou dans le plexus d’un gamin piétiné. Une vieille-très-vieille atteinte d’Alzheimer protège son sac de dix kilos de patates mais meurt en croyant revivre le bombardement de sa cuisine en 1944. Le système anti-émeute se déclenche. Le système anti-émeute déclenche la fermeture immédiate des rideaux de fer. Le système automatique anti-émeute envoie l’alarme stridente.

22 janv. 2013

Hypermarché (14)

La vitre sans tain. Vue panoramique sur les caisses automatiques. Les clients scannent les produits. Les rayons laser rouges scannent leurs visages avides de bonnes affaires. Ça fait des BIP. Ça fait des putains de BIP. BIP ! BIP ! Le porc gigotte. Jesse serre. Jesse serre. La tête du chef de la sécurité se détache du cou. Ça fait CRAC ! Juste un petit CRAC minable. La tête du chef rebondit mollement. La tête du chef roule sur la moquette écrue du poste de vidéosurveillance. Le sang giiiiicle.
Le sang fait un bruit d’évier et se répand sur la vitre sans tain en jets grotesques. Des litres de sang pourri de gros porc GROUIKI aux fesses bruyantes. Jesse déchire les fringues bleues du chef de la sécurité. Le chef est debout. Debout, l’enculé sans tête.
Jesse enfonce sa langue bifide dans l’anus du chef.
La langue bifide de Jesse saisit les entrailles du chef.
Jesse tire sec sur la langue.
De la merde, du sang, de la bile, des intestins partout dans le poste de vidéosurveillance.
Ça puuuue.
Ça puuuuue.

21 janv. 2013

Hypermarché (13)

Le chef de la sécurité est très excité. Le chef de la sécurité ressemble follement au cochon GROUIKI. Ses joues sont roses tirant sur le rouge, maintenant. La grosse veine du cou enfle, la grosse veine du cou forme une nervure violacée sur son cou potelet et gras. Des gouttes de sueur, épaisses et glacées, collent à sa peau comme des gouttes de cognac VSOP dans les verres ballons des actionnaires de Captain MIKI lorsqu’ils arrosent un plan social. La masque MIKI d’Emmy est blaaanc.
Le chef de la sécurité est rouge. Le chef de la sécurité est congestionné. Couperosé. Cramoisi. Fraise. Les yeux du chef de la sécurité sont ronds, exorbités, proéminents. La langue bifide de Jesse se resserre. Les mains du gros porc GROUIKI saisissent la langue bifide de Jesse. Mais Jesse serre. Jesse serre. Jesse serre. Les yeux du porc se remplissent de ruisseaux rouges. Les yeux du porc se remplissent de boue rouge. Les yeux du porc GROUIKI éclaaaaaatent.

18 janv. 2013

Hypermarché (12)

Un agent se sécurité pose une bassine pleine de Captain MIKI devant Jesse. La langue bifide de Jesse attrape les Captain MIKI et décrit des arabesques dans le bureau minuscule avec vue panoramique sur les caisses automatiques. La main d’Emmy est affectueusement posée sur le sommet de Jesse. Jesse mange sans bruit. Jesse défèque sans bruit. Tous ignorent que Jesse est un être conscient et intelligent. Seule Emmy le sait. Les autres disent que Jesse est une chose. Les autres disent que la nouvelle mascotte est trop top.
Le chef de la sécurité se retourne et son gros visage poupon est rose. Son visage brille comme les fesses du cochon GROUIKI des rayons charcuterie Captain MIKI. Le cochon potelet rigolo GROUIKI qui fait un clin d’œil en montrant ses fesses brillantes. La prothèse MIKI d’Emmy l’Hôtesse de caisse se met sur PAUSE et émet un crépitement électrostatique. Le chef de la sécurité pose sa main droite sur le sein gauche d’Emmy. Le sein gauche d’Emmy était beau sous le tissu acrylique de sa blouse Captain MIKI. Le chef de la sécurité pose sa main gauche sur le sexe d’Emmy. Le tissu acrylique criiiisse.
Si Gluten était là, il ne voudrait pas que le chef de la sécurité vienne polluer la belle odeur d’entrejambe d’Emmy.
C’est comme si Emmy avait des exhausteurs de goût partout sur le corps. Ça sent bon.
Ça sent bon comme les cerisiers japonais quand on fait l’effort d’oublier les rejets de l’usine d’incinération — un gosse siffle.

17 janv. 2013

Hypermarché (11)

Les agents de sécurité traînent Emmy et Jesse dans le bureau. Dans le bureau, il y a des chaises et une table, des posters de l’île d’Antigua et du circuit automobile d’Estoril et une cafetière entartrée qui craaaache. Le chef de la sécurité regarde à travers le miroir sans tain.
« Donnez-lui à bouffer ! Cette saloperie doit bouffer toutes les heures ! » Le chef de la sécurité se sert un café dans un mug FBI. Il regarde les files de clients se presser aux caisses automatiques. La vitre sans tain. « Emmy, cette chose doit être détruite. Les nouvelles mascottes sont prêtes ET BORDEL DE MERDE je me sens plus rassuré comme ça. Ce truc jaune est un monstre. Quand ça mange, c’est doux comme un pet de lapin MAIS BON SANG… Quand ça commence à ressentir la faim ! La pauvre femme qui lui servait de mère est salement amochée. Je me demande comment elle a pu survivre au choc. Le bras a été arraché… Merde, j’avais jamais vu ça. Même quand j’étais commando de marine. Jamais. »

16 janv. 2013

Hypermarché (11)

Ils disent qu’ils vont cloner Elvis Presley [la prothèse MIKI afficha une photo du King en kimono de Kenpo Karaté].

Pour te remplacer.
Captain MIKI avait repensé son identité visuelle.

« Ô mon doux ami [Emmy l’Hôtesse de caisse parle, sa prothèse MIKI est une aurore boréale]. Je suis Emmy, la vierge caissière. Je suis chargée de te détruire, petite boule jaune à deux trous. Tu verras, tu ne souffriras pas. Les agents de sécurité nous escorteront, tu pourras dire tes adieux aux fans qui se massent dehors et qui t’attendent : les entends-tu crier JESSE ! JESSE ! JESSE ! Ils acclament ton recyclage, la cendre de tes os broyés s’envolera dans les airs sous la forme d’un oiseau de feu. Tes atomes seront une nuée magique aromatisée à la vanille, pour les soldes des soldes. »
La prothèse MIKI d’Emmy est vide. Tout est blanc. Emmy ne parle plus.
Les agents de sécurité sont revenus. Avec leurs casques et leurs gilets pare-balles en Kevlar. Mais Jesse n’est plus le capitaine du France. Jesse se plaque contre la poche d’Emmy. Jesse sent ce qu’il y a dedans. Il y a des brins de tabac, une pièce de deux centimes, une bague de pacotille avec un rubis en toc, trois bouloches de fibres, un peu de sable et un confetti de ticket de caisse. Jesse aimerait être gros comme un grain de sable.

15 janv. 2013

Hypermarché (10)

Jesse s’immobilisa. Les clients de Captain MIKI étaient furieux. Ils frappaient le vitrage blindé avec leurs talons ; ils pilonnaient le verre avec le socle de fonte des mannequins de celluloïd ; une grosse femme dressa son majeur boudiné en hurlant des obscénités ; un adolescent percé dégueula de rage ; mais la voix d’Emmy l’Hôtesse de caisse était plus puissante, plus ronde, plus belle, elle disait : mon doux ami, ô mon doux ami, avance de trois mètres, tourne à gauche et à droite. BING, un Captain MIKI mangé. Ô mon ami, à gauche maintenant. BING, BING, BING. Jesse retrouvait ses esprits et son corps reprenait possession du labyrinthe. Jesse est un champion de chère. Le meilleur du monde. L’instinct de Jesse était revenu. La voix d’Emmy était un cheval de feu et de tendresse. Un tresse de réglisse qui fouette le vent. Les clients de Captain MIKI avaient cessé de frapper du pied. La grosse truie serra le poing et encouragea Jesse. L’ado percé continua de gerber (parce qu’il était malade, les agents de sécurité l’emmenèrent sur une civière), la voix d’Emmy était un pur-sang aux muscles d’acier, Jesse mangea des dizaines de Captain MIKI flottants et les clients exultèrent ! La faim était ratatinée. L’esprit de Jesse s’envolait.
MOINS SOIXANTE-QUINZE POUR-CENT SUR TOUT LE RAYON TEXTILE !
Jesse avait pulvérisé le record. Le vitrage blindé se teinta de noir. Les clients s’arrachèrent les articles soldés. Une femme cria. Une autre femme cria. Les voix se perdirent en injures stridentes.
Quatorze merdes vanillées sortirent en chapelet de l’orifice bas de Jesse. Qu’ont-ils fait de Gluten ? Qu’ont-ils fait de maman au bras arraché ? Jesse sentit la tristesse venir au lieu de la joie d’avoir pulvérisé le record d’ingestion de Captain MIKI flottants en trois minutes. Dans une de ces quatorze merdes vanillées, il y avait le bras digéré de maman. Captain MIKI fera des yaourts au bifidus avec le bras digéré de maman. Jesse aurait préféré que Gluten mange le morceau digéré et vanillé de maman.
Les murs du labyrinthe rentrèrent dans le sol. Emmy l’Hôtesse de caisse apparut. La prothèse MIKI d’Emmy afficha deux cercles roses luminineux incrustés de paillettes argentées. La main d’Emmy était douce et chaude. Emmy caressa la peau souple de Jesse. Jesse sentit le pouls d’Emmy courir sur lui comme une petite couleuvre affolée : mon doux ami, ils vont te mettre dans le broyeur de déchets, ils vont t’incinérer (la prothèse MIKI afficha une larme rouge intense), ils disent que tu as fait ton temps, ils disent que tu es dangereux, ils disent que tu as mangé ta maman.

14 janv. 2013

Hypermarché (9)

La piqûre des agents de sécurité cessa de faire effet.

Et Jesse se réveilla.

Jesse était dans le labyrinthe.
Jesse était dans la cage dans le labyrinthe. La faim était plus forte et plus grosse que Jesse. Elle s’apprêtait à dévorer Jesse. Ils avaient enfermé Jesse dans la cage avec la faim. Les deux orifices de Jesse s’ouvraient et s’étiraient. La langue bifide de Jesse claquait contre les barreaux en titane de la cage.
Les clients de Captain MIKI marchaient sur l’épais vitrage blindé qui fermait hermétiquement le haut du labyrinthe. Ils regardaient Jesse et Jesse voyait leurs entrejambes. Si Gluten avait été là, il aurait remué la queue et aurait sauté comme une puce folle de joie vers le vitrage blindé. Penser à Gluten. Penser à Gluten. Penser à Gluten. Penser à Gluten. La FAIM.
Enfin.
Au « top » du speaker, les clients de Captain MIKI déclenchèrent l’ouverture automatique de la cage. Jesse roula comme un dératé dans les couloirs du labyrinthe. Une petite fille montra Jesse à sa maman. La maman tira la petite fille vers le rayon textile. Des Captain MIKI flottants clignotèrent dans les couloirs du labyrinthe, Jesse devait les manger, mais si Jesse ne les mangeait pas dans les trois secondes, les Captain MIKI flottants disparaissaient. Jesse courait. Chaque Captain MIKI flottant ingurgité par Jesse affichait un point de rabais sur le Grand Compteur Promotionnel Captain MIKI. Plus Jesse mangeait de Captain MIKI flottants, plus les rabais augmentaient sur le Grand Compteur Promotionnel Captain MIKI et les clients de Captain MIKI étaient contents.
Aujourd’hui, Jesse mangeait des Captain MIKI flottants pour les soldes du rayon textile. Mais Jesse roulait trop vite. Jesse était désorienté et ratait les Captain MIKI. Les clients s’énervaient contre Jesse et tapaient des pieds sur le vitrage blindé. Les vibrations désorientaient Jesse. Jesse ratait plein de Captain MIKI. Jesse n’avait mangé que douze Captain MIKI. La faim était toujours là et pourchassait Jesse.
Le speaker annonça (sa voix était sévère et enflait dans les hauts-parleurs) que si Jesse n’atteignait pas un minimum de 45% de remise, Captain MIKI serait obligé d’envoyer des décharges électriques dans le plancher pour stimuler Jesse. La direction de Captain MIKI était navrée et annonçait à son aimable clientèle que Jesse serait recyclé s’il ne remontait pas son score. Jesse n’était semble-t-il plus le champion de chère qu’il avait été.
Jesse pensa à maman et à son bras arraché.
Jesse méritait d’être recyclé.
Et puis Emmy l’Hôtesse de caisse a sauvé Jesse.
Emmy l’Hôtesse de caisse était la seule à comprendre Jesse. Emmy l’Hôtesse de caisse était cachée dans l’ombre du labyrinthe. Elle murmurait à Jesse de se calmer. Elle chantait une comptine très douce. La voix d’Emmy était une caresse d’albumine sur la peau jaune de Jesse. Un gateau fondant au citron.

11 janv. 2013

Hypermarché (8)

Les agents de sécurité sont arrivés juste à temps pour empêcher Jesse de manger tout maman. Ils avaient des casques et des gilets pare-balles en Kevlar et ils criaient « Go ! Go ! Go ! » en courant très vite dans les escaliers et ils portaient leurs fusils en joue et la spirale de leur uniforme était grise au lieu d’être rouge comme celle des collaborateurs de Captain MIKI. Ils ont tiré une piqûre dans la peau très souple de Jesse. Dedans Jesse, ça faisait comme une machine à laver folle qui n’arrêtait pas d’essorer avec le tambour ouvert et tout le linge plein de sang qui éclaboussait la chambre de maman. Ça faisait des sploch-schlas-sssh. Puis Jesse s’est endormi. Un agent de sécurité a regardé Jesse très près avec ses lunettes anti-choc. Mais il n’a pas vu le secret de Jesse.
Quand Jesse dort, Jesse est le capitaine du paquebot France. C’est bien.
Sur le paquebot France — Hé hé Petit —, il n’y a pas de Captain MIKI. La mer est une chose extraordinaire. Jesse entend la voix du vent qui tourne autour du globe. Le vent dit tant et tant de choses sur maman. Le vent dit : « Ô Jesse, pour combattre il faut monter au sommet de la colline. La règle est simple. Pour monter au sommet de la colline il faut avoir la foi ; et une foi solide, Jesse. Ta foi est-elle solide, fils ? Car le sommet des collines est généralement peuplé de la Vierge de la Guadalupe (la Parfaite Vierge Marie et Sainte Mère de Dieu, notre Reine), c’est pourquoi il faut être très attentif au chant des oiseaux. Ta mère, ta pauvre mère disait en te regardant : « Qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu ? ». Nul ne le sait sinon la Vierge de la Guadalupe, Sainte Mère de Dieu, — mais à l’entendre ça devait être très grave. Combattre, j’espère qu’il n’y a pas d’équivoque, fils, n’est pas un choix, surtout, en fait, lorsque c’est contre la Sainte Mère et que sa propre mère a de l’écume aux lèvres et se tord de douleur et qu’elle est plus dure qu’un caillou. » C’est dans les flots gris et brou de noix de l’océan que Jesse a reconnu le nom du père. Il est le vent. Celui qu’on ne voit pas et qui porte au sommet des collines pour combattre la Mère de Dieu. Pour Lui arracher le secret de la naissance monstrueuse de Jesse. C’est pour ça que Jesse est le capitaine du paquebot France.

La piqûre des agents de sécurité cessa de faire effet.

10 janv. 2013

Hypermarché (7)

Pour se déplacer, Jesse roulait. Gluten le poussait avec sa truffe ou montait dessus et le faisait tourner comme une otarie de cirque sur un ballon bicolore. Sauf que Jesse était tout jaune. Jesse aimait rouler. Il n’y avait plus de haut ou de bas. Il était comme un cosmonaute. Comme une planète jaune en orbite autour d’elle-même. Mais ce n’était pas facile de voyager ainsi. À cause des agents de sécurité. Les agents de sécurité n’aimaient pas que des êtres comme Jesse roulent dans l’espace public. Le risque était évident et Jesse les comprenait. Jesse comprenait les agents de sécurité, mais les agents de sécurité ne comprenaient pas Jesse.

Gluten remua la queue et jappa de joie.

Jesse regarda maman. L’orifice supérieur de Jesse s’ouvrit en grand.

Jesse mange maman. Au secours !

9 janv. 2013

Hypermarché (6)

« Je t’aime. »

Parfois Jesse avait des sentiments qu’il n’arrivait pas à exprimer et il enviait maman pour qui tout était « je t’aime ». Si Jesse avait mal tenu le verre d’eau et que maman s’étouffait, elle disait « je t’aime » en toussant jusqu’à ce que l’eau ait repris la bonne route. Quand les agents de sécurité de Captain MIKI disaient que maman était aphasique à cause de la naissance de Jesse (« MERDE, LES GARS, cette femme a mis au monde une boule de maïs soufflé ! »), Jesse savait qu’ils n’avaient pas compris. Jesse savait que dans le rêve de maman, Jesse était un petit garçon normal qui revenait de l’école en se prenant pour le capitaine d’un bateau de 66 348 tonneaux. Il avait deux bras et deux jambes et un cartable sur les épaules. Il marchait sur le trottoir, le long des haies et des barrières blanches. Un voisin regardait le petit garçon et lui disait « barre à bâbord, capitaine ! », et le petit garçon baissait les bras et cessait de gonfler ses joues pour imiter le bruit des deux grandes cheminées rouge et noir du bateau. Le petit garçon était vexé parce que le voisin avait vu son bateau. Ce bateau était à lui seul. Il s’appelait Le France et son Pépé avait travaillé dessus comme maître d’hôtel — hé hé, Petit !
Mais c’est vrai, maman aurait eu besoin de sortir de son lit et de dire autre chose que « je t’aime ». Voilà pourquoi Jesse était devenu le champion de chère de Captain MIKI. Pour trouver le chemin de la Vierge de la Guadalupe. Pour guérir sa maman. Et pour devenir quelqu’un.

Et pour la lutte contre l’obésité.

8 janv. 2013

Hypermarché (5)

Jesse avait une langue bifide. Rien à voir avec le bifidus actif des produits lactés, mais Jesse savait que le Bifidobacterium bifidus est un « composant de la flore intestinale des nourrissons ». Ses propres défécations en étaient également remplies, c’est pour cette raison que les collaborateurs de Captain MIKI récupéraient son caca vanillé. Ils en faisaient des yaourts. La langue bifide de Jesse mesurait cent trente-deux centimètres. Elle lui servait a ouvrir les boîtes de Captain MIKI, à donner les médicaments à maman, laver son beau corps rond et souple, allumer la télévision et saluer la foule en délire. Les clients adoraient quand Jesse sortait sa langue et la faisait tourner en l’air comme un lasso de cowboy. Ils criaient et chantaient des slogans publicitaires et tout l’intérieur de Jesse se remplissait de fierté. Pour les clients, Jesse était un dieu. Pour les prochaines soldes, Jesse devait être le plus beau.

7 janv. 2013

Hypermarché (4)

[Jesse n’est pas con. Jesse sait que la Vierge de la Guadalupe viendra le libérer du corps de Jesse.]

Le papa de Jesse est parti depuis longtemps. Jesse était tout petit. Pas plus gros qu’une boule de maïs soufflé sortie d’une boîte de Captain MIKI pour le petit déjeuner. La maman de Jesse était très belle. Elle disait en regardant Jesse : « Je t’aime. » Puis elle retombait dans le sommeil. Elle a dormi pendant vingt ans dans le grand lit du premier étage. Les agents de sécurité de Captain MIKI étaient très gentils avec maman. Ils venaient souvent à la maison pour écouter ses organes et lui donner à manger par un tuyau transparent. Ils disaient : « Ta mère est extraordinaire, elle n’a aucun escarre, mais elle devrait se décider à reprendre une vie normale, malgré tout. Elle est encore jeune. ». Jesse pensait que les agents de sécurité de Captain MIKI ne comprenaient pas maman.
« Je t’aime. »
« T’es pas tout seul ? Y a du monde là-haut ? »
Maman venait de crier ses trois mots. Jesse savait décrypter chaque inflexion de sa voix, la quantité de chaque syllabe, longue ou brève, selon que maman veuille dire « Il manque » ou bien « Demain ». Jesse était un enfant aimant et intelligent. Il comprenait tout. Les agents de sécurité de Captain MIKI ne comprenaient pas bien maman. Ils disaient que Captain MIKI était comme un père pour Jesse. Ils disaient que les collaborateurs, les agents de sécurité, les actionnaires, le Conseil d’administration de Captain MIKI et Jesse formaient une grande famille. Ils disaient que Jesse était le sommet de la pyramide (∆).
« Je pourrais peut-être remettre le message, en main propre, à la personne qui se trouve là-haut ? »
Jesse se posta devant les escaliers. Le collaborateur comprit que Jesse ne voulait pas.
Alors le collaborateur regarda Jesse en se grattant la tignasse blonde. La prothèse MIKI dit [:¬].
« Je vais te lire le message. »
Le chien Gluten retourna aux défécations vanillées du salon. Le collaborateur tira une enveloppe de la poche inférieure de son pantalon réglementaire — froissement du tissu.
Cela faisait cinquante-deux minutes que Jesse n’avait pas mangé. Dans quelques secondes la faim féroce lui dévorerait les boyaux. Alors, Jesse devrait manger sans attendre. Le collaborateur devait absolument comprendre qu’il fallait délivrer le message — immédiatement — et repartir sur son vélo. Jesse devait coopérer avec les collaborateurs de Captain MIKI. Mais il était impossible à Jesse de ne pas nourrir la faim qu’il sentait grossir dans son dedans.
Alors l’orifice supérieur de Jesse s’ouvrit à la recherche d’un son. Mais le son ne vint pas.
« Putain, mec, tu fais quoi là ? Attends un peu avant de me bouffer, j’ai un carton plein de ces foutus Captain MIKI dans le caisson de ma bécane. Bouge pas, mec, j’en ai pour deux secondes. »
« Merde alors. » La prothèse MIKI dit [8¬|].
Le collaborateur n’avait donc jamais vu Jesse faire son show les jours de soldes ? Sinon le collaborateur aurait su que Jesse était doué pour ouvrir les boîtes cartonnées Captain MIKI avec la langue et manger le contenu en moins d’une seconde. Jesse devait manger beaucoup de Captain MIKI pour garder la forme entre les soldes.
« On dirait un serpent tout rose. »
Douze défécations vanillées sortirent en chapelet de l’orifice bas de Jesse.
Gluten ne bougea pas. Le chien Gluten était trop petit pour ingurgiter toutes les merdes vanillées de Jesse. Des collaborateurs de Captain MIKI venaient alors tous les jours pour  ramasser le surplus laissé par Gluten.
« Bien, voici donc le message : Cher Jesse, Captain MIKI a le plaisir de t’inviter à sa grande journée promotionnelle. Cette saison, Captain MIKI s’est engagé à reverser 50% de ses bénéfices à la lutte contre l’obésité. »

5 janv. 2013

Hypermarché (3)

« Écoute, mec, j’ai une invitation à te remettre en main propre… Sauf que là, y a un os, comme qui dirait. »
Gluten laissa sa besogne et s’élança vers le collaborateur — langue pendante. Gluten aime renifler. Comme tous les chiens. Il apprécie les entrejambes et les fesses. Mais sa petite taille l’empêche d’atteindre ces zones enivrantes. Les clients et les collaborateurs avaient des proportions majestueuses en raison des produits qu’ils ingurgitaient. L’industrie agro-alimentaire de Captain MIKI était tout à fait délicieuse. Elle était très riche en protéines et glucoses. C’est ce qui donnait aux clients ce fumet dont raffolait Gluten.
Le chien avait développé une technique très efficace : le saut capricant. Ses pattes se tendaient en une fraction de seconde. Le poil grésillait comme un transfo. Le voilà à un mètre du sol ! Truffe dans la braguette ! Mais les clients n’aimaient pas que Gluten flaire avidement leurs parties. Il leur arrivait de protester et de lever la main sur Gluten — chevalière en or.
Alors il se passait quelque chose. Dans Jesse, il y avait de la force qui arrivait. Un son étrange sortait de l’orifice supérieur de Jesse (-------). Jesse était en colère. Et Jesse mangeait les clients.
Captain MIKI protestait quand Jesse mangeait des clients.
Jesse non plus n’aimait pas manger des clients. Les clients sentent bon pour un chien, mais en vérité, les clients manquent d’exhausteurs de goût.
« T’es une foutue boule toute jaune, mec. Comment qu’ils veulent que je te remette ce putain de courrier en main propre ? »
Devant les bonds capricants du chien, le collaborateur ne manifestait aucun signe d’agacement. Au contraire, sa main gauche s’enfonçait dans le long poil caramel. Gluten était d’excellente humeur. Jesse aimait Gluten, mais Jesse ne pouvait pas (((((caresser))))) le chien.
« Il est marrant, ce clebs. On sait pas de quel côté se trouve la tête, mais il est marrant. »
Le collaborateur s’accroupit et laissa Gluten enfoncer sa gueule dans l’entrejambe. Il frotta vigoureusement le poil laineux du chien. La prothèse MIKI dit [;->].
« Comme ça, je sais de quel côté se trouve la tête… Quoique… »
Jesse n’a ni jambe, ni bras. Jesse n’a pas d’yeux. Jesse n’a pas d’oreilles, pas de nombril, pas de sexe, pas d’épaules, pas de poils. Jesse est lisse, jaune, rond et très élastique.
Jesse était le plus grand champion de chère de tous les temps.
Jesse pouvait manger n’importe quoi. En un temps record.

4 janv. 2013

Hypermarché (2)

BONJOUR JESSE
L’histoire s’est passée ainsi. Jesse la raconte point par point sans omettre un seul détail.
[Mais auparavant, laisse-moi te dire, toi qui lis dedans Jesse : ce que tu nommes la Vie, Jesse l’a reçue dans un laboratoire secret du FBI. Plus exactement, les premières cellules de Jesse se sont multipliées dans le laboratoire secret, puis l’œuf fut transplanté dans l’utérus de la maman de Jesse. Jesse naquit et Jesse chercha tout de suite à s’ôter la vie — car Jesse est Conscience —, ni plus ni moins, sans colère, sans douleur, comme tu ferais sauter une écharde en fouillant la pulpe de ton doigt avec la pointe stérile d’une épingle. Mais Jesse ne peut pas s’autodétruire. Hélas. N’était-il pas suffisant que Jesse ne puisse parler ou embrasser ou rire ? Les seuls qui tirèrent avantage du désir de Mort que tu déposas dedans Jesse en même temps que la Vie, sont ceux que Jesse n’écrasa pas, que Jesse ne mangea pas, que Jesse ne démembra pas tandis que Jesse était occupé à trouver un sens à tout ce foutu bordel. Il ne tient donc qu’à toi, lecteur du dedans de Jesse, que Jesse ne te déchire pas en morceaux : comporte-toi avec Jesse comme avec n’importe quel autre être doué d’intelligence. Et donne-lui à manger toutes les heures.]
Tout d’abord, on vit un type à vélo.
[Pigé ?]
Il mesurait dans les deux mètres. On voyait son tee-shirt. Il était floqué « Captain MIKI », dans une spirale rouge sang. Le type portait une prothèse MIKI. Pour le reste, il était sapé d’un pantalon réglementaire et de chaussures de sécurité vernies. C’était un collaborateur de Captain MIKI.
« J’ai un message pour toi. »
Le collaborateur posa sa bécane contre la haie. La prothèse MIKI dit [:-)].
« Tu me fais entrer ? »
Sur l’allée de graviers gris, une légère brise balaya les flocons carnés des pommiers japonais. Le ciel était bleu ecchymose et, si on faisait l’effort d’oublier les émanations aromatisées de l’incinérateur proche, l’air était plutôt agréable à respirer. Les pétales tourbillonnèrent un instant autour des chevilles du collaborateur et se répétèrent dans le vernis des chaussures de sécurité — reflet flou. La prothèse MIKI était contente et vira au rose tendre. Le collaborateur s’ébroua la tignasse au ralenti. Il regarda la déco Ikea du rez-de-chaussée.
« C’est chouette ici, enfin, moi j’y vivrais pas, mais c’est bath. »
Puis le collaborateur s’immobilisa, la prothèse MIKI dit [;-)]. Dans le séjour, une bonne centaine de boîtes à la spirale rouge jonchaient le plancher et dégueulaient des tiroirs ouverts. La prothèse MIKI dit [:-o] devant Gluten dévorant (en remuant la queue) les défécations visqueuses et translucides de Jesse. La merde de Jesse est onctueuse et savoureuse, le collaborateur semblait l’ignorer. Elle est généralement très riche en vanilline.

2 janv. 2013

Terra incognita (pourquoi cesses-tu de frapper ?)

Tu essaies maintenant d’écrire sur mon plexus, avec tes poings. Le capitaine Dupré doit, à la fin, parvenir à combler ton attente, coûte que coûte ; car toi (dans tes mains gainées de lanières
de cuir) tu commandes aux circonstances et les infléchis selon tes besoins.
Il faut que le capitaine Dupré se heurte (car il faut être spectaculaire, toujours) à la conjonction d’une déception amoureuse et de la férocité de la vie sociale ; il le faut car
la cause finale le commande, car toi tu le commandes à la cause finale, le destin n’a qu’à bien se tenir !
Mais quoi, adversaire au torse tatoué ! Les anneaux du fleuve sont-ils commandés par la bouche ?
Celui qui se soulève contre les dires est Homme, — il est Truchement celui qui, par son action, se met hors du concours des choses et les façonne à son gré, celui-là paiera le prix de l’esclave. Le serpent trouve son terme — mon sein — dans l’achèvement (provisoire) ; mais jamais, jamais, le point ne commande à la ligne.
Comme les saisons, je dis ce qui a toujours été dit ; comme la feuille, je ne pousse qu’une seule fois.
C’est aujourd’hui que je finis le premier round ; et pour cette solennelle occasion, je n’ai rien de solennel à déclarer — comme à chaque fois que je monte sur le ring, je ne sais être solennel qu’entre deux portes.
Je dis — tout compte fait — très-solennellement, ce matin, ai connu le plaisir par deux fois ; une fois par knock out et l’autre fois dans la poésie.

1 janv. 2013

Terra incognita (avec le rasoir draine la plaie)

Il feint d’ignorer le monde moderne, l’adversaire
aux poings de cuir.
Ce qu’il y a de moderne, c’est l’homme brutal ; l’homme caillouteux qui ignore la botanique — cette science archaïque — et nomme l’arbre avec le creux de la main ; l’homme onomastique à la diction sacramentelle (il cueille l’herbe et dit : ô herbe cueillie !) ; l’homme nu ; l’homme ivre mort ; l’homme-présent « je suis maintenant ICI et d’autres très anciens ont déjà dit ma mort ».
Ce qui est moderne, c’est la peau que tu touches, c’est la dureté de mon sein et l’angoisse de ton sexe.
La modernité, c’est l’empereur Che Houang-ti ordonnant que tous les livres soient brûlés ; c’est le sauvage Turc incendiant les cinq cents mille livres des Ptolémée ; c’est moi recopiant ces lignes sans rien altérer, vingt ans après.