4 janv. 2013

Hypermarché (2)

BONJOUR JESSE
L’histoire s’est passée ainsi. Jesse la raconte point par point sans omettre un seul détail.
[Mais auparavant, laisse-moi te dire, toi qui lis dedans Jesse : ce que tu nommes la Vie, Jesse l’a reçue dans un laboratoire secret du FBI. Plus exactement, les premières cellules de Jesse se sont multipliées dans le laboratoire secret, puis l’œuf fut transplanté dans l’utérus de la maman de Jesse. Jesse naquit et Jesse chercha tout de suite à s’ôter la vie — car Jesse est Conscience —, ni plus ni moins, sans colère, sans douleur, comme tu ferais sauter une écharde en fouillant la pulpe de ton doigt avec la pointe stérile d’une épingle. Mais Jesse ne peut pas s’autodétruire. Hélas. N’était-il pas suffisant que Jesse ne puisse parler ou embrasser ou rire ? Les seuls qui tirèrent avantage du désir de Mort que tu déposas dedans Jesse en même temps que la Vie, sont ceux que Jesse n’écrasa pas, que Jesse ne mangea pas, que Jesse ne démembra pas tandis que Jesse était occupé à trouver un sens à tout ce foutu bordel. Il ne tient donc qu’à toi, lecteur du dedans de Jesse, que Jesse ne te déchire pas en morceaux : comporte-toi avec Jesse comme avec n’importe quel autre être doué d’intelligence. Et donne-lui à manger toutes les heures.]
Tout d’abord, on vit un type à vélo.
[Pigé ?]
Il mesurait dans les deux mètres. On voyait son tee-shirt. Il était floqué « Captain MIKI », dans une spirale rouge sang. Le type portait une prothèse MIKI. Pour le reste, il était sapé d’un pantalon réglementaire et de chaussures de sécurité vernies. C’était un collaborateur de Captain MIKI.
« J’ai un message pour toi. »
Le collaborateur posa sa bécane contre la haie. La prothèse MIKI dit [:-)].
« Tu me fais entrer ? »
Sur l’allée de graviers gris, une légère brise balaya les flocons carnés des pommiers japonais. Le ciel était bleu ecchymose et, si on faisait l’effort d’oublier les émanations aromatisées de l’incinérateur proche, l’air était plutôt agréable à respirer. Les pétales tourbillonnèrent un instant autour des chevilles du collaborateur et se répétèrent dans le vernis des chaussures de sécurité — reflet flou. La prothèse MIKI était contente et vira au rose tendre. Le collaborateur s’ébroua la tignasse au ralenti. Il regarda la déco Ikea du rez-de-chaussée.
« C’est chouette ici, enfin, moi j’y vivrais pas, mais c’est bath. »
Puis le collaborateur s’immobilisa, la prothèse MIKI dit [;-)]. Dans le séjour, une bonne centaine de boîtes à la spirale rouge jonchaient le plancher et dégueulaient des tiroirs ouverts. La prothèse MIKI dit [:-o] devant Gluten dévorant (en remuant la queue) les défécations visqueuses et translucides de Jesse. La merde de Jesse est onctueuse et savoureuse, le collaborateur semblait l’ignorer. Elle est généralement très riche en vanilline.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire