30 janv. 2013

Hypermarché (20)

Elvis pose un genou à terre. Elvis Presley pose son avant-bras galonné sur son autre genou. Elvis fixe l’amas des parkas mortes. « Ces gens sont morts,
murmure-t-il,
ces gens sont morts sans raison apparente. Voici le commencement.
Impitoyable.
Mes chiens barbares, le travail glorifie les êtres impitoyables. [Ron et Bob écoutent le prophète de Memphis. Les chiens de Kevlar sont au garde à vous.] Ne nous méprenons pas sur nos actes : ils sont abominables, sans justification, atroces. Impardonnables. Ne vous méprenez pas, violents combattants, mes frères d’arme, votre œuvre est brutale, sans limite. Seules les déesses païennes vous regardent avec amour. Elles vous ouvrent leurs cœurs et leurs cuisses inassouvies. Les actionnaires nous haïssent, nous rejettent sans rédemption possible. Car ils nous craignent. Car
leur
sang
se
fige
à l’évocation de nos noms. Leurs estomacs se retournent et vomissent des flots de peur.
Car tous sont d’immondes salauds sans morale.
Car tous
sont les poutres de l’édifice répugnant qui arme nos bras. Nous ne sommes que la traduction exacte et littérale,
stricte et vraie,
de leurs actes feutrés. Nous sommes la paraphrase du retraité de Floride qui attend son chèque de l’Ave Maria Mutual Funds ;
nous sommes le transcodage du bon père de famille qui cotise chaque mois une assurance vie de la Berkshire Hathaway ;
nous sommes la copie carbone du cadre dirigeant qui croque les actions de la Capital Group Companies ;
nous sommes les clones fidèles du boursicotteur qui bande pour la Fidelity Investments ;
nous sommes la transposition de la fille du quatrième, si gentille, si mignonne, qui kiffe pour les obligations de la Franklin Templeton ;
nous sommes le reflet cruel des actionnaires de la Lone Star Funds ;
nous sommes le mot pour mot de l’agent immobilier qui découpe pour la Westbrook Real Estate Partners. Oooh oui, mes chiens de guerre, il faut que notre œuvre soit plus cruelle encore. Car nous sommes ce par quoi ils prospèrent. »
Elvis Presley se redresse. Elvis mate l’Hypermarché Captain MIKI dans un lent panoramique. Elvis dit : « Je sens Jesse ici. ». Bob C. sourit. Les crocs de Ron P. se soulèvent. Elvis dit : « Takin’ Care of Business. »

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