9 janv. 2013

Hypermarché (6)

« Je t’aime. »

Parfois Jesse avait des sentiments qu’il n’arrivait pas à exprimer et il enviait maman pour qui tout était « je t’aime ». Si Jesse avait mal tenu le verre d’eau et que maman s’étouffait, elle disait « je t’aime » en toussant jusqu’à ce que l’eau ait repris la bonne route. Quand les agents de sécurité de Captain MIKI disaient que maman était aphasique à cause de la naissance de Jesse (« MERDE, LES GARS, cette femme a mis au monde une boule de maïs soufflé ! »), Jesse savait qu’ils n’avaient pas compris. Jesse savait que dans le rêve de maman, Jesse était un petit garçon normal qui revenait de l’école en se prenant pour le capitaine d’un bateau de 66 348 tonneaux. Il avait deux bras et deux jambes et un cartable sur les épaules. Il marchait sur le trottoir, le long des haies et des barrières blanches. Un voisin regardait le petit garçon et lui disait « barre à bâbord, capitaine ! », et le petit garçon baissait les bras et cessait de gonfler ses joues pour imiter le bruit des deux grandes cheminées rouge et noir du bateau. Le petit garçon était vexé parce que le voisin avait vu son bateau. Ce bateau était à lui seul. Il s’appelait Le France et son Pépé avait travaillé dessus comme maître d’hôtel — hé hé, Petit !
Mais c’est vrai, maman aurait eu besoin de sortir de son lit et de dire autre chose que « je t’aime ». Voilà pourquoi Jesse était devenu le champion de chère de Captain MIKI. Pour trouver le chemin de la Vierge de la Guadalupe. Pour guérir sa maman. Et pour devenir quelqu’un.

Et pour la lutte contre l’obésité.

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