2 avr. 2013

Zone 4 (20)

Avant la catastrophe, l’archipel vit sur ses souvenirs d’ancienne station balnéaire très courue à la fin du XIXe siècle. Un célèbre peintre représente sa plage une quinzaine de fois, ses falaises et son cap, son ponton et ses cabanes de bois — la peinture blanche réverbère la lumière, si particulière à cet endroit (s’étaient persuadés les habitants).
Pendant les sombres années de la Première Guerre mondiale, l’archipel dont les plans de bord de mer sont conçus, dit-on, d’après la promenade des Anglais à Nice, devient la capitale d’un royaume en exil. Sur le plan juridique et durant quatre ans, l’archipel est un territoire étranger.
La statue d’un roi en uniforme signale cela, bien qu’il n’ait jamais mis les pieds dans l’archipel. Le roi restera au plus près des massacres.
L’archipel est partagé entre une plage de galets, au sud, qui, à marée basse, découvre des rocailles constellées de petits coquillages (coupants et dangereux, il faut se baigner à marée haute, même si les quelques mètres de galets sont un supplice pour les pieds), et, au nord, des falaises de cent mètres, qui forment un cap que les habitants nomment, autant par amusement que par sentiment d’appartenir à une espèce oubliée, le bout du monde.
Au pied des falaises, une décharge. C’est ici que les monstres jettent leurs morts.
La partie septentrionale du littoral — les falaises et son cap — s’appelle « zone de stockage n°4 ».

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