11 avr. 2013

Zone 4 (26)

Il parle seul, se passe l’eau sur le visage : « Elle rit comme je ne l’ai jamais vu rire. Je traîne autour des auto-tamponneuses, je sens l’odeur des étincelles électriques, j’entends les bruits de la foire, les adolescents appuyés aux rampes de sécurité, les jetons dans le creux des mains, les mots pressés dans les éclats crispés de timidité, leurs sourires sont comme des carrosseries d’auto-tamponneuses, rouges, bleus, jaunes. Je veux tirer à la carabine. Je veux tuer. Je veux tuer parce que je n’ai jamais vu Mère rire comme ça. Elle rit, elle percute, elle est projetée, elle tourne, elle recule, elle virevolte, elle fait un tour de piste. Il y a la musique, mais ça n’empêche pas son rire. C’est une fusée qui cogne. Son rire est si grand. Je veux tirer à la carabine, j’avance vers le stand. Je détourne les yeux comme si j’étais devant une image obscène. Comme si mon corps était engourdi. Le visage de Mère fait peur. Sa beauté me fait peur. Je ne l’ai jamais vue comme elle est. Détendue. Elle s’amuse, j’ai l’impression que le monde est redevenu normal. Le monde est simple et bleu comme le ciel de la foire, on pourrait vivre heureux pour toujours. Ça serait tellement merveilleux. J’aurais une vie. J’aurais des bras à l’intérieur de moi pour me consoler. J’ai crevé trois ballons avec ma carabine. »
Ceci reprend point pour point les images d’un spot publicitaire pour l’assurance-vie PepsiCo Prévoyance, Achille les revoit nettement au fur et à mesure qu’il dit le texte. Il crache dans l’évier, le rince d’un geste circulaire et coupe l’eau. La température extérieure augmente. Elle ne devrait plus descendre jusqu’à la tombée de la nuit.

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