25 oct. 2012

Écrire & Fumer (15)

Mon corps a simultanément compris à qui le gars s’adressait et qu’il ne pouvait pas se laisser insulter, sans aucun motif, par un inconnu.
Mon corps s’est retourné. L’autre était dix pas en arrière. Mon corps a dit, plus étonné qu’en colère : « C’est quoi le problème ? ».
Le gars a jeté sa veste de sport au sol. Il s’est dirigé vers mon corps avec l’intention très marquée de lui pulvériser la gueule. « J’ai la rage ! Toi t’es rien, t’as pas la rage ! ». Et il avait raison. Je n’avais pas la rage.
Un affrontement aurait été, dans ces conditions, très en défaveur de mon corps. Il n’était pas en condition pour se battre contre un enragé. Mon corps a tourné les talons et repris sa marche.
Je m’attendais à recevoir un coup de poing dans la nuque ou un violent choc dans les reins (d’autant que le gars revenait vers mon corps à en juger les « me tourne pas le dos sale pédé ! », « enculé ! » et autres invectives peut-être révélatrices de son petit problème narcissique).
L’idée m’est venue d’ordonner à mon corps de courir mais je m’y suis refusé. Je me disais deux choses. La première était qu’il fallait agir comme avec les chiens, ne pas lui laisser sentir que mon corps avait peur. La seconde était que, si mon corps devait l’affronter sur un pied d’égalité, il fallait que la rage vînt aussi en lui, et, pour cela, je comptais sur un premier coup que le gars me donnerait en traître pour le stimuler.
Le fait est qu’il ne m’a pas suivi dans la rue d’Elbeuf. Je suis donc rentré chez moi et j’ai allumé mon ordinateur.
Mon Dieu, je n’avais encore jamais fait le calcul, mais cet individu a raison, voilà une année pleine que mon cerveau s’est détaché de mon corps. Lorsque j’ai entrepris la rédaction de ce mémoire, je n’envisageais pas qu’il pût être un jour lu par un autre que toi (ce « toi » n’est que fiction puisqu’en admettant même que tu aies connaissance de cette entreprise, je doute que tu aies jamais la patience d’aller jusqu’ici). J’ai longuement regardé le commentaire du 20 octobre. Il ne m’était pas apparu, non plus, que je pusse dormir en cet instant si particulier de ma vie.
La perspective de n’être jamais lu n’est pas triste, ni désespérante. Je dois même dire que cela m’enchantait de savoir les heures, les années passées à écrire, s’envoler dans le ciel, comme les morts de notre enfance.
J’ai allumé une cigarette et j’ai répondu.

hok
        HOK

                        hok

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