3 oct. 2012

Écrire & Fumer (3)

À bord du Tsibalt, le cerveau de Phil n’a plus à se heurter au manque de transparence des éditeurs.
Phil-en-entier a publié, sous son nom complet ou sous divers pseudonymes, une quinzaine de livres (c’était au temps où mon corps et mon cerveau ne faisaient qu’un). Au total, d’après les redditions de comptes fournies par les éditeurs (sans aucun contrôle réellement possible, l’immense majorité des auteurs étant tenue de croire sur parole les comptes tenus en leur nom, aucune copie de document d’imprimeur ou de distributeur ne leur étant jamais communiquée), Phil-en-entier aurait vendu quarante-huit mille six cent trente-six exemplaires, tous titres confondus.
Cette comptabilité ne tient registre que des exemplaires « portant droits ». Elle exclut les cessions à l’étranger, pour lesquelles les ventes sont impossibles à chiffrer. Les éditeurs sont censés, par contrat, faire fifty-fifty du produit de la cession avec l’auteur. Mais dans la réalité, le partage des droits se fait selon une autre arithmétique. Une simple soustraction réduit le total à diviser par deux : les éditeurs retranchent du montant à partager certains « frais techniques » générés par la vente (comme la fourniture de fichiers numériques délivrés gratuitement par l’auteur ou les notes de restaurant et d’hôtel engagées par l’éditeur lors de la cession)…
Je tire sur la cigarette et, encore une fois, aucun hoquet.
À titre d’exemple, le corps de Phil a dernièrement perçu 428,43 euros de droits étrangers pour la traduction chinoise d’un de nos bouquins. La Chine est un petit marché. C’est ce qu’il faut croire devant le chèque que le corps de Phil a reçu.
Les quarante huit mille exemplaires « portant droits » font abstraction des titres vendus sur les sites marchands du web sous la rubrique « d’occasion – comme neuf ». Ces ventes-là ne portent pas droits non plus, bien que de toute évidence, ils ne sont pas d’occasion (qui est dupe du « comme neuf » ?). Ils sont « déstockés », souvent en infraction de la loi sur le prix unique du livre et du délai légal de mise en soldes.
Tu auras pu constater, Pénélope, que des nouveautés sont parfois vendues « d’occasion – comme neuf » avant leur sortie en librairie. Tu auras pu constater (rassure-toi, ce n’est qu’une clause de style) qu’il arrive que ces nouveautés soient proposées à des prix supérieurs à celui de l’éditeur.
J’ignore l’ampleur du phénomène, mais je me dis qu’il n’est pas si marginal que ça. Ces vendeurs « d’occasion – comme neuf » ne sont pas des particuliers. Ce sont des professionnels que leurs clients gratifient de dizaines de milliers d’« évaluations positives ».
Mon cerveau en a plein le cul. Voilà son évaluation positive des choses.

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