26 oct. 2012

Écrire & Fumer (16)

Le capitaine Cosme, commandant le brise-glace Tsibalt, était le plus exotique des officiers de marine marchande croisant dans les mers australes. Mis à part Dave et le second capitaine Hansen, personne à bord ne pouvait prétendre l’avoir jamais vu, personne ne pouvait encore moins prétendre le connaître.
Hansen et Dave réagissaient sur des modes différents lorsque l’équipage tentait de leur tirer les vers du nez. Dave, conforme à son habitude, n’émettait que des sons monosyllabiques. La syllabe la plus usitée était un « ’ain » sec et guttural voulant peut-être dire « putain ».
Sauf lorsqu’on abordait la question du capitaine. Dave lâchait alors un « han ! » franc et audible. Ne va toutefois pas croire que Dave était muet ou incapable de prononcer autre chose que des « ’ain » ou des « han ! ».
Sa voix était très belle. Les rares femmes du bord profitaient du moindre prétexte pour squatter le poste de commandement. Elles guettaient le moment où le second proclamerait « Monsieur David, barre à gauche 5 », le timonier laconique confirmant alors : « la barre est 5 à gauche, commandant » avec la voix de Marlon Brando dans L’Homme à la peau de serpent.
Hansen était semble-t-il celui qui passait le plus de temps avec le capitaine (Dave n’ayant qu’un rôle de majordome, il lui apportait ses repas et s’occupait du linge). Cosme ne mettait jamais les pieds sur la passerelle. Lorsque le second n’était pas de quart, la manœuvre revenait au lieutenant Gombrich qui ne recevait jamais ses ordres directement de Cosme. Les autres timoniers de quart étaient les matelots Duchemin, Le Marchand et Fribourg (des Fécampois) et, comme Dave, occupaient le reste de leur temps à briquer le pont, servir à table ou faire de menues réparations. Les autres membres d’équipage étaient le bosco Hallgrims, le chef mécanicien Teufel, le mécano Holle, l’officier radio Karl Sibert et un médecin neurasthénique nommé Wodel.
Hansen ne tolérait pas qu’on aborde le sujet du capitaine Cosme à la légère. Wodel et Teufel en étaient venus à spéculer que le second tenait le capitaine enfermé dans sa cabine et, comme le traître Alan dans Le Crabe aux pinces d’or, l’alimentait en substances psycho-actives dans le but scélérat de le maintenir hors de son commandement.

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