13 sept. 2012

In God We Trust (1)

« There is no trap as deadly as the trap you set for yourself. »
The Long Goodbye, chap. 12, Raymond Chandler.

Le Yougo avait bien dit : « Mickey Kozarski ». Raoul paraissait terrifié. Le Yougo pilotait la 125 en le matant dans le rétro. La bécane prit à gauche après un bassin. La bécane passa l’autopont et s’engagea sur les docks nord. Le Belomorsk terminait son amarrage. Les lamaneurs ployaient sous le poids des aussières à huit brins, et, dans un ultime « han ! » de force, attrapaient le dernier bollard. La 125 roula dans un nid de poule. La tête de Raoul cogna le dos de Goran. Le cuir du Yougo cocottait l’essence de rose.
Raoul regarda le profil casqué du Yougo : « … Mickey Kozarski, j’en… ». Sa voix ripa dans les pétarades de la bécane.
Le Yougo fit un beau sourire. Il se repassait le film. La veille, ça s’était passé comme ça :
Milan et lui se tenaient droits dans leurs costards Made in China. Eddy et Raoul étaient assis de part et d’autre du bureau. Eddy Mauser avait baratiné : « tu vas voir Raoul, c’est un boulot rentable parfaitement dans tes cordes ». Raoul avait retenu ses tremblements tout le temps du rencard. À chaque fois qu’Eddy souriait, Raoul se passait la main sur les yeux (Raoul était doué pour la comédie, mais il y avait pourtant du vrai dans sa composition : Raoul avait les foies). Les Yougos se marraient dans leur tête.
« Un très bon client à moi, dont je me flatte d’être l’ami, attend un colis des USA. C’est pas du genre illégal, mais il voudrait éviter la paperasse, tu comprends ? Alors, l’idée, c’est d’oublier la douane et toutes ces conneries. Le machin sera à bord du Belomorsk, une sorte cargo russe. On ne sortira le colis du port qu’après-demain, le vendredi on risque aucun contrôle. Je t’expliquerai. Pour faire court : mon ami a fait l’acquisition d’un article assez spécial… C’est du genre machins artistiques. Toi, tu prends des photos du bazar, mon ami y tient, il “adore ton travail” (Eddy avait fait le signe des guillemets avec les doigts). »
Pour les Yougos, tout avait l’air normal : Raoul avait la tête de l’emploi. La tête de ces petits merdeux que Mickey aimait faire mousser. Puis Mauser s’était rapproché, les deux mains à plat sur une pile de fax jonchant son bureau — si près que Raoul aurait pu compter les carats qui lui servaient de dentition. Raoul était au bord du colapsus. Ses tripes ruaient à lui rompre les amygdales pour de bon. « Je te garantis que toi et ton pote vous allez vous faire un tas de pognon comme vous en avez jamais vu, les miquettes, et tout ça, net d’impôts… », qu’il disait Eddy Mauser. C’était simple : Goran allait dealer le colis auprès d’un matelot et le mettre en sûreté dans un hangar des docks nord. « Raoul, tu seras sympa de lui donner un coup de main. » Le boulot de Raoul, c’était de shooter dans le hangar. Pendant que Goran assemblait les morceaux de l’« article assez spécial ». Le temps que l’autre Yougo, Milan, se pointe le lendemain avec un pick-up bâché (c’était la perspective de rester seul avec ces types qui le faisait flipper). « Le client veut une série de clichés du machin dans l’ambiance du port. » Facile.
Goran stoppa la bécane sous la joue vermillon du Belomorsk. Un cargo polyvalent russe chargé de grumes exotiques. Goran mit la 125 sur béquille et monta à bord. Goran lâcha un mot de russe à l’homme de quart et disparut dans la carcasse du navire. Raoul fit ce qu’on attendait de lui. Raoul posa son sac à terre et sortit le Nikon.
Raoul cadra Goran lorsqu’il refit apparition avec un carton volumineux. Goran gueula : range ça enculé ! Raoul mit le Nikon en bandoulière et sauta sur la passerelle. Les photos, c’est après, qu’il disait le Yougo.
Quand les cartons furent à l’abri du hangar E, Goran dit : c’est maintenant que tu fais les photos. Goran aligna une dizaine de madriers au sol. Des morceaux de bois épais et noirs percés de trous pour être chevillées les uns aux autres. Un paquet de sangles de gros cuir brun et patiné. Un amas de fils électriques, d’électrodes et une sorte de bol en cuivre, un gros commutateur à poignée. « Shoote, l’artiste, shoote ! » Disait Goran. « Putain, qu’est-ce que c’est cette saloperie ? », articula Raoul. « Authentique chaise électrique, État de Georgie, USA. » Goran était content comme un gosse à Noël.

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