19 sept. 2012

In God We Trust (5)

« Merdre ! Ce con a un steak avarié au fond de l’estomac… ». Elvis éclaboussait le miroir. Elvis vitriolait la porcelaine sanitaire. Et il suait. Hoquets, yeux brouillés à la vinasse et des « putain… putaiiiiin…», j’en avais le cœur brisé. Sans parler de ses pantalons de jogging qui heurtaient mon sens de l’esthétique : on voyait un bon tiers de la raie de ses fesses. Écœurant. Et les gerbes fusaient. Et les gerbes empestaient. Les gerbes couvraient les strates d’urines séchées. Des palimpsestes de pisses accumulés depuis que sa bonne femme avait foutu le camp avec un gus de chez France Loisir. Une soudaine soif de culture, qui vous prendrait aux fesses. Le Grace Land avait doucement suivi la pente jusqu’à ce que le juke-box ne tourne plus qu’avec la même pièce de cinq francs (une rareté numismatique qu’Elvis vénérait comme le sou fétiche). Elvis retirait la pièce. Elvis remettait la pièce dans la fente, inlassable. À ce tarif, Jacob Delafon et les bactéries avaient un commerce agréable ; elles se faisaient arroser. Elles se faisaient canadairiser. Surtout après dix heures du matin quand Elvis avait vidé sa demi-bouteille de jaune. Mais (en l’occurrence) c’était le lavabo qui dégustait. Elvis lançait du vomi sous pression. Elvis s’arrachait les cordes vocales.
Et il s’écroula comme une chaise de camping qui se replie sur un doigt innocent ; une fois m’avait servi de leçon au camping de La Ciotat. Depuis, je fais attention où je mets les mains.
Depuis le licenciement, mon destin sentait le faisan. Un jour j’avais été mis au pied du mur : fallait opérer chirurgicalement. Fallait faire sauter le machin qui fait qu’on a le moral comme un biscuit trop trempé. En fait, j’enfilais les déveines comme une rombière des perlouzes à son collier. Si j’avais eu une régulière, sûr qu’elle aurait mis les bouts. Mais Dieu merci je les avais tellement par terre que les gonzesses me voyaient à travers comme dans un miroir sans tain. 
Des gars plus tordus se seraient mis la tête dans le four. À la place je m’étais laissé embobiner par un de ces « puceaux », comme disait Elvis, de chez Novaprom. Le gars avait sorti une fiole à compte-gouttes de sa valise en titane. Hop, une larme de nanopuce et ma vie allait changer. J’étais pris en charge par MUSE. Plus besoin de faire la queue pendant des heures devant ces putains de caisses. Les plus insignifiants détails de ma vie, la gestion de mon compte en banque, mon dossier médical, mon identité, ma consommation, mes loisirs, mon mode de vie, tout était d’un coup devenu une affaire entièrement gérée par le Groupe Novaprom. En échange de ces menus services, disait le puceau en costard kevlard, je m’engageais à convertir mes revenus en devises MUSE, utilisables dans l’ensemble des magazins et administrations sous licence Novaprom. Soit 99% des enseignes du territoire. Quand mon allocation Pôle Emploi a été suspendue, le Groupe a pris la relève. Leur système d’assurance chômage, lui, ne parle pas d’« offre raisonnable »…
Mais là, quand même, c’était plutôt une « offre raisonnable », ce boulot à trois millions de dollars. Non ?

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